Peur de l’avion : problématique, enjeux et solutions. Du général au cas particulier de l’expatriation.

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Si les enquêtes sur le sujet sont rares, il est communément admis que, à des degrés divers, une personne sur trois n’est pas à l’aise avec l’avion.

En 1982, des chercheurs ont estimé que cela représentait un manque à gagner de 1 milliard 600 millions de dollars pour l’industrie aérienne aux États-Unis du fait que les personnes concernées par cette phobie font, en moyenne, 75% de voyages en avion de moins que les autres.

Des études plus récentes (2008, 2017, et 2019), sur près de 2000 personnes venues faire le stage « Apprivoiser l’avion » organisé par la compagnie Air France, montrent que 63% des personnes ayant peur de l’avion ont entre 26 et 45 ans, et que 68% d’entre elles occupent des fonctions à responsabilités (dirigeant, cadre, manager, ingénieur, haut fonctionnaire, ...). Si ce n’est peut-être pas le portrait-robot de l’expatrié.e, cela pourrait y ressembler !

Avant d’explorer les enjeux et les solutions, préciser la problématique de la peur de l’avion est fondamental tant sa nature est multiforme.


Problématique

Il est vrai que l’avion revêt des spécificités qui ont tout pour « encourager » ou stimuler une forme d’appréhension :

  • C’est un objet de très haute technicité qui suscite la curiosité, quelquefois la fascination. Alors, en même temps que nous cherchons à comprendre « comment ça marche », ce qui fait que tout cela est parfaitement normal et rationnel, nous sommes rattrapés par des images mythiques d’inaccessibilité (Icare, le Pilote, l’Hôtesse de l’air, ...) qui peuvent nourrir en nous en sentiment d’impuissance. En oubliant, au passage, qu’il ne nous est pas demandé d’être puissant et encore moins d’être le pilote de l’avion ;

  • La régularité confondante de sa très grande fiabilité se construit en silence, contrairement aux événements qui peuvent survenir et dont la médiatisation fracassante augmente en même temps que ces événements se raréfient. Même les incidents les plus insignifiants sur le plan sécuritaire sont alors exposés sans le filtre de la moindre explication technique, mais avec des ressorts émotionnels contribuant à des raccourcis de compréhension erronée ;

  • L’exigence élevée de sécurité s’accomplit de manière très banale de la part des acteurs (pilotes, personnels navigants, mécaniciens, contrôleurs aériens, ...) car cette conscience aiguisée du risque est devenue une seconde nature chez eux. Alors que, dans même temps, le profane voit de bonnes raisons d’avoir peur du fait même que toutes ces mesures soient prises : « puisque ça n’existe nulle part ailleurs dans mon quotidien, c’est bien la preuve que c’est dangereux » se dit-il. En oubliant de se demander si le médical, par exemple, ne pourrait pas s’en inspirer pour renforcer ses protections. C’est ce qu’il fait déjà, d’ailleurs, en empruntant à l’aéronautique la notion de « bénéfices/risques », et en introduisant des check-lists en chirurgie. Et que ce soit « le moyen de transport le plus sûr au monde » ne fait rien à l’affaire, sauf à irriter davantage les phobiques, sans jamais expliquer le comment ;

  • La dernière « bonne » raison d’avoir peur de l’avion, a priori, c’est que nous ne sommes pas équipés, physiologiquement, pour le comprendre au travers de ce que nous ressentons. Les sollicitations sensorielles que nous éprouvons en avion sont au-delà de nos capacités physiques. En clair, un aéronef va trop vite et vole trop haut pour nous ... mais pas pour lui ! De ce fait, nos sensations deviennent presque toutes trompeuses (impression de tomber, impression de ne pas avancer, ...) et anxiogènes (un bruit devient menaçant uniquement parce que nous ne le connaissons pas).

Nous adapter à des repères que nous n’avons pas, des changements auxquels nous devons faire face c’est pourtant l’affaire du stress qui est là pour mobiliser nos ressources physiques et mentales ... à condition de ne pas les avoir éparpillées !


Enjeux

A la décharge de l’avion, il y a donc nos propres exigences et celles de la société qui ne nous facilitent pas la tâche, pas plus que certaines de nos constructions mentales :

  • Lors des enquêtes citées plus haut, 81% des personnes ayant peur de l’avion disent avoir besoin de tout contrôler, en toutes situations. Vouloir comprendre, planifier, connaître, ... et devoir le faire, sont parfois des nécessités professionnelles et des moteurs de dépassement personnel indéniables. Mais, sans y prendre garde, cela peut se retourner contre nous et s’exprimer de multiples façons : manies, TOC, anxiété, phobies, management toxique, stratégies d’évitement, perte de discernement, surmenage, présentéisme, ... La peur de l’avion est évidemment une de ces manifestations où la non-maîtrise devient une menace pour nous uniquement parce que nous ne savons plus faire confiance, ni déléguer à d’autres notre propre sécurité. En oubliant, au passage, que nous avons affaire à des professionnels aguerris, que nous n’avons pas leurs compétences, que l’industrie aéronautique est plus que florissante, ... Autant d’éléments factuels qui, ailleurs, nous rassurent et constituent même notre quotidien ;

  • Est-il seulement permis de refuser une expatriation, ou une évolution de carrière du fait de nos difficultés avec l’avion quand il nous semble déjà impossible d’évoquer et de montrer la moindre « faiblesse » aux autres ? L’aéronautique est un tel signe de progrès et de modernité, que la peur de l’avion est très souvent tabou, vécue comme une honte. Pourtant, au moment où nous parlons de plus en plus de santé mentale (les sportifs, les étudiants, ...), il serait temps que nous fassions tous un peu plus preuve d’empathie. Pas par angélisme (le fameux péjoratif et moqué « monde des Bisounours »), mais simplement parce que nous sommes tous concernés : si ce n’est pas l’avion des uns, c’est, peut-être, la peur de parler en public des d’autres, ou encore une légère tendance à l’hypocondrie, des terreurs nocturnes, un mal-être en société, une fixation anxieuse sur l’argent ou le rangement, ... Rien qui ne devrait nous disqualifier vraiment, ni ne nous déprécier, en somme !

  • Outre la peur de ne pas contrôler la situation, il y a aussi la peur de soi, de ne pas être en mesure de se contrôler soi-même : ainsi, 53% des personnes ayant peur de l’avion expriment leur peur d’avoir peur (crise d’angoisse, attaque de panique, ...).

Vis-à-vis des autres, ou de soi, c’est un peu comme si l’enjeu suprême était donc d’être à la hauteur à tout prix. Force est de constater qu’avec l’avion, c’est un peu perdu d’avance, lui qui évolue en toute aisance à plus de 10000 mètres d’altitude !


Solutions

La peur de l’avion n’est surtout pas une fatalité. Il est tout à fait possible de la faire disparaître ou de la ramener à un niveau très bas, plus que supportable. Les solutions citées ici sont à ajuster et à adapter pour chaque personne, tant cette appréhension est protéiforme (peur des sensations, de mourir, de ne pas maîtriser, de l’enfermement, ...) :

  • Si l’irrationnel est « (…) en dehors du domaine de la raison ou (...) s'y oppose », la particularité de la peur de l’avion c’est qu’on peut être tenté de rationaliser à outrance l’objet phobique. La portance, les turbulences, le décollage, ... tout s’explique ou presque en aéronautique. Cette voie-là est le piège parfait pour toutes celles et tous ceux qui sont dans un besoin irrépressible de tout contrôler. Connaître et comprendre l’environnement aérien oui, mais à condition de le banaliser et d’en limiter l’étendue des connaissances ;

  • Apprendre le lâcher-prise, retrouver la capacité à faire confiance, à déléguer ... et mettre en pratique partout où c’est possible (au travail, en famille, ...) est donc le corolaire de ce qui précède ;

  • Accepter d’avoir peur, et, surtout, le dire (aux proches, aux collègues, même aux équipages, ...) permet d’en faire le constat, d’en alléger le poids. Il est possible, alors, de mettre en place des stratégies plutôt que des rituels. C’est aussi un bon moyen de constater à quel point cette peur est partagée par tant d’autres, de se sentir un peu moins à part, et de regagner en « normalité » ;

  • Puisque les sensations nous induisent en erreur, travailler à les réduire le plus possible en installant du relâchement corporel comme mental permet de s’en éloigner. Cela peut passer par des exercices de relaxation musculaire et respiratoire, l’utilisation d’un « kit de distraction » (jeux, musiques, films, ...) à constituer en fonction des goûts de chacun.

  • Se faire aider par des professionnels de santé mentale contribue autant à remettre l’avion à sa place ... qu’à nous aider à retrouver la nôtre, en acceptant, par exemple de ne pas être aux commandes ni en action constamment, ou en travaillant à ne pas surinvestir cet objet qui n’est que le moyen de transport et non l’objectif du voyage. Pour cela différents formats existent (psychothérapie analytique, cognitivo-comportementale, hypnothérapie ou coaching), tout comme les supports utilisés qui sont aussi très variés (réalité virtuelle, accompagnement en vol ou expertise aéronautique par exemple).

Les témoignages sont légion de l’efficacité de cette liste non exhaustive. A partir d’expérimentations, de conseils il ne reste plus qu’à trouver ce qui nous correspond le mieux, et cette recherche est sans risques aucun.

Particularité de l’expatriation

Si l’échelle du stress des chercheurs Holmes et Rahe, en 1970, n’aborde pas explicitement cette situation, il est assez clair que de nombreux items y renvoient (« changement dans l’univers du travail », « changement dans les conditions de vie », « changement d’habitudes », « changement de domicile », ...).

Côté stress, en ce qui concerne l’avion, l’expatrié.e n’est pas en reste, se trouvant face à la nécessité de le prendre aussi bien pour des raisons personnelles (retour en France pour des vacances, un deuil, un mariage, ...) que professionnelles (nouvelle expatriation, voyage d’étude, conférence, ...).

A cela peut s’ajouter une compagnie aérienne qu’on ne connaît pas, un voyage sans ses proches, le survol de l’eau, un vol de nuit, une météo défavorable, ... Et, qu’il s’agisse de situations plaisantes ou non, que le déplacement soit subi ou souhaité, cela ne fait que très peu de différences dans la mécanique du stress : dans tous les cas c’est coûteux en ressources.

Raison de plus pour être attentif à soi, tout comme à la nature du voyage, sa véritable signification pour que l’avion ne devienne pas le catalyseur de nos craintes et appréhensions, ni source de souffrance.

Prendre l’avion et être en expatriation c’est finalement, dans les deux cas, devoir se sécuriser à partir de repères nouveaux, inconnus ou changeants. De quoi militer pour une aide adaptée afin de « sit back and relax », de nouveau ou enfin !


Ecrit pour Expat Pro par Philippe Goeury, Psychologue spécialisé dans le traitement de la peur de l’avion.
Responsable psychopédagogique du Centre Anti-Stress d’Air France pendant 12 ans, navigant pendant 30 ans, et expert en sécurité aérienne, il revendique une approche où l’avion est démythifié, banalisé, dédramatisé.

Email : pgoeury@gmail.com
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