« Il vaudrait mieux choisir spécialité maths pour être pris dans une bonne université », « Il faudrait passer de A à A+ en sciences pour rentrer dans ce lycée bien côté », « Concentre-toi sur les matières scientifiques, cela te sera plus utile pour l’avenir »… Voilà des phrases qu’on a tous entendues ou qu’on a parfois prononcées, pour orienter au mieux les efforts de nos enfants, afin qu’ils obtiennent les écoles ou les universités de leur choix. Bien que la France connaisse désormais le stress lié à la procédure Parcoursup, les familles expatriées sont habituées depuis longtemps à faire face à la grande compétitivité qui fait rage dans les systèmes scolaires de nombreux pays. Les choix de spécialités sont souvent tactiques, des années avant l’entrée au lycée ou à l’université et ne font pas toujours sens pour l’enfant qui voit souvent dans ses apprentissages uniquement un moyen stratégique d’obtenir un droit d’entrée dans telle ou telle filière. Nous allons voir en quoi cette vision utilitariste des études peut conduire à l’inverse de ce qui est initialement recherché et dans quelle mesure il est nécessaire de repenser la fonction des apprentissages.
Une vision utilitariste des apprentissages souvent délétère
Envisager les apprentissages uniquement comme un moyen revêt un caractère considérablement réducteur. Les connaissances et compétences acquises sont uniquement considérées du point de vue quantitatif. Il s’agit d’une logique de compétition, d’accumulation de savoirs valorisables ultérieurement, que cela soit pour obtenir un lycée, une université, ou pour rentrer sur le marché du travail. Cette logique peut conduire à une démotivation de l’enfant, à une perte de sens des apprentissages au quotidien, lesquelles peuvent avoir pour conséquence une baisse des résultats, ce qui mène au contraire de ce qui est recherché initialement. Dans ce cas, les parents sont souvent inquiets, se focalisent sur le projet de leur enfant qui semble s’éloigner au grand galop, mettent davantage de pression sur le jeune, qui se crispe et s’acharne à progresser dans la matière qui pose problème (au hasard, les maths !). Toute son énergie est consacrée à obtenir la note cible pour voir son projet se réaliser. Cette logique génère souvent de nombreuses tensions dans les familles, avec un épuisement des élèves, un haut niveau de stress chez l’enfant comme chez ses parents. Souvent, les demandes auprès des professeurs particuliers sont d’ailleurs formulées de la sorte : « Mon fils a 65 % en maths, il faudrait qu’il ait 85 % pour rentrer dans la filière qu’il a choisie ». L’enfant envisage de prime abord son soutien en maths ou dans toute autre matière comme un objectif chiffré. Sans remettre en cause le projet de l’enfant ni la nécessité de progresser objectivement et de voir in fine ses résultats s’améliorer, il convient de prendre du recul et de redonner en premier lieu de la densité et du sens aux apprentissages.
Retrouver le goût d’apprendre
Pour quoi apprendre ? Alors que cette question semble nous détourner de l’urgence du moment, elle est au contraire essentielle. Une fois considérée l’utilité de telle ou telle matière, essayons d’envisager d’autres raisons d’apprendre que les motifs classiques utilitaires. Pour quoi apprendre les maths ? « Pour me permettre de travailler dans le secteur de... », vous répondra sûrement votre ado… Oui, mais pour quoi d’autre cela pourrait-il être intéressant, au-delà de son caractère utile ? Durant mes études à l’université, j’ai souvent entendu des professeurs de mathématiques nous présenter des démonstrations comme plus « élégantes » que d’autres. L’adjectif m’avait amusée les premières fois où je l’ai entendu, puis je l’ai compris. Oui, les mathématiques peuvent être élégantes, belles. On peut aimer les maths comme on aime contempler une exposition de peinture, juste parce que c’est beau… Elles peuvent nous émerveiller, même quand nous les avons détestées précédemment dans notre scolarité. Et une fois qu’on trouve les mathématiques belles, on a envie de les explorer juste pour le plaisir. Se frotter à leurs règles du jeu devient plus aisé, moins d’épuisement et d’impuissance sont ressentis face à l’ampleur de la tâche, le temps passe plus vite, on se lance des petits défis personnels, on vient convoquer à l’intérieur de nous cette petite flamme qui nous animait enfant lorsqu’on découvrait quelque chose de nouveau. Nous avons enfin renoué avec le sens de la découverte, la gratuité de l’effort dont l’aboutissement est en lui-même la récompense et la gratification. De même pour la grammaire française, dont on peut se plaire à explorer toute la complexité, commencer à s’intéresser à l’histoire des mots au travers de leur étymologie, envisager une langue vivante comme le moyen qu’a trouvé une communauté humaine de décrire le réel et s’amuser de la diversité des découpages de la réalité qu’on constate d’une langue à l’autre. En quelque sorte, il s’agit de se décentrer d’une logique utilitariste des apprentissages et de les envisager avec un œil neuf, afin d’aller stimuler cet appétit de découvrir qu’on laisse de côté une fois que l’on commence à faire les choses pour des raisons sérieuses. Retrouvons, nous, parents - et aidons nos enfants à retrouver - ce côté émerveillé digne du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, dans tous les domaines de la vie de nos enfants, y compris celui des apprentissages, qui nous intéresse ici.
En pensant faire un détour délétère face à l’urgence des échéances scolaires, redonner la priorité au plaisir d’apprendre et au sens des apprentissages comme fin en soi, et non uniquement comme moyen, s’avère paradoxalement souvent « rentable » en termes de résultats. Les progrès ne sont pas forcément immédiats mais lorsqu’ils arrivent, ils peuvent être impressionnants et souvent durables. De plus, le temps passé à étudier représentant une proportion importante de la vie de l’enfant, redonner goût aux jeunes dans leurs apprentissages redonne également du sens et de la saveur à leur quotidien. Leurs projets d’étude, parfois très ambitieux, peuvent être abordés plus sereinement, leur scolarité n’étant plus uniquement vue sous le prisme du quantitatif et de l’utilitarisme. D’autres dimensions s’ajoutent, qui redonnent de la densité et une vision plus qualitative de ce que l’enfant découvre et aborde.
De la nécessité de ne pas attendre la crise et l’urgence pour stimuler l’émerveillement et le plaisir d’apprendre
Parler de la nécessité de « retrouver » le plaisir d’apprendre suppose qu’on l’ait à un moment ou à un autre perdu… Les logiques de compétition que l’on trouve sur le marché du travail conditionnent nombre d’adultes à voir la vie sous ce prisme et, partant, cela conditionne la manière dont la plupart des parents envisagent la scolarité de leur enfant, laquelle vision est transmise à ce dernier par imprégnation. Il s’agit donc, en tant que parent, de s’interroger sur le rapport qu’on a eu soi-même avec ses propres études, également avec la compétition sur le marché du travail, et d’essayer, autant que faire se peut, de stimuler dès le début de sa vie l’esprit de découverte de son enfant, de favoriser son émerveillement face à ses explorations dans les différentes disciplines, en l’aidant à chaque étape de sa scolarité à ne pas réduire son champ de vision et à stimuler sans relâche cet émerveillement gratuit face aux apprentissages On comprend aisément qu’un pianiste sera meilleur s’il aime pratiquer son instrument et s’il ne voit pas les heures passer lorsqu’il travaille. Alors, pourquoi ne pas envisager les mathématiques, la grammaire ou la littérature de la sorte ? Avec en sus de la performance, moins de stress, une vie plus savoureuse et équilibrée.
Ecrit pour Expat Pro par Julia Clément.
Professeur agrégée, titulaire d’un double cursus (littéraire et scientifique), Julia donne des cours particuliers depuis 12 ans. Elle propose son expertise dans plusieurs disciplines, et aide également les élèves à améliorer leurs méthodes de travail et à redonner du sens à leur scolarité.
Son site : https://julia-clement-formations.now.site/home