La dépendance financière en expatriation, on en parle?

L’expatriation fait rêver et c’est vrai que c’est une formidable expérience de vie qui nous fait voyager et grandir.

Il y a néanmoins des aspects dont on parle moins et qui peuvent bouleverser un quotidien bien établi dans le pays d’origine : la soudaine dépendance financière du conjoint suiveur qui ne peut retrouver du travail dans le pays d’accueil.

Cette dépendance financière va provoquer un déséquilibre au sein du couple et de la cellule familiale, et peut donner lieu à des discussions, disputes, conflits, et dans certains cas mener à la violence économique.

 

Même avec les meilleures intentions du monde au départ, la question de l’argent crée un déséquilibre insidieux qui s'installe doucement et peut avoir des répercussions à plusieurs niveaux.

Argent, patriarcat, culpabilité

Pour commencer, il y a la question de la contribution à la famille, au ménage.
Pour celui qui a le contrat d'expatrié et qui travaille, c’est clair : il ramène l’argent.
Et la “conjointe suiveuse”, elle contribue comment?
Et bien, étant donné qu'elle ne peut pas travailler, elle va faire tout le reste.
Bienvenue dans le patriarcat de l’expatriation !
C’est le patriarcat en mode exotique et version +++.

 

Cela peut sembler tiré par les cheveux, même carrément irréel, mais c’est bien ce qui va se passer pour la majorité des femmes expatriées qui ne travaillent plus.

Et ce retour en arrière à un monde encore plus patriarcal que la “normale” sera nourri en partie par le contexte, en partie par la culpabilité qu’éprouve la femme expatriée de ne pas contribuer au ménage, et en partie par son conjoint qui estimera qu’étant donné qu’elle ne ramène pas l’argent, il lui reste en effet le rôle de femme au foyer.

Pour tenter de rétablir l'équilibre, prouver qu’elle fait des choses utiles, qu’elle contribue même si elle ne travaille pas, la femme expatriée fera un maximum dans la maison, pour la famille dans une tentative de compensation (même si elle n’aime pas ça et qu’elle rêvait d’autre chose…).

Ce sera bien évidemment une contribution non rémunérée et bien souvent non valorisée.

 

Mon argent, ton argent, notre argent ?

La femme expatriée commencera peut-être aussi à faire attention à ce qu’elle dépense étant donné qu’elle ne gagne plus d’argent.

“Mais enfin quelle drôle d'idée ! Il s’agit tout de même de notre argent, enfin de l’argent que tu gagnes, et que moi je dépense…, mais c’est aussi mon argent, enfin le nôtre, celui de la famille, non ? Bref, ce n’est plus très clair tout ça…”

Du coup, elle hésitera à dépenser pour se faire plaisir alors qu’avant, ces dépenses faisaient partie de son quotidien.
Au fur et à mesure, elle fera moins attention à ses propres besoins.
Les dépenses tourneront majoritairement autour de la famille et des enfants mais dépenser uniquement pour elle deviendra compliqué ; il ne faudrait pas être égoïste tout de même et profiter de la situation…

Il faut noter l’ironie du sort, ironie dont on ne peut pas vraiment parler car aux yeux de tous, l’expatriation offre un style de vie confortable et c’est vrai !
Mais c’est justement dans ce contexte confortable que la question de l’argent émerge, parce que le déséquilibre économique est criant.

Et celle qui ne gagne pas d’argent sera en fait celle qui s’occupera d’en dépenser pour les autres et qui, du coup, pensera tout le temps aux dépenses quotidiennes et à l’argent qu’elle ne gagne pas. Et on lui rappellera sans doute de temps à autre…

Argent et droit de regard

Clairement, cette dépendance financière entraîne un manque de liberté ou un devoir de rendre des comptes.

Envie de quelque chose ?
Il faut demander, quémander, faire des choix.
On n’est plus vraiment libre d’en faire à sa guise.

Il arrive même dans certains pays que le compte en banque soit uniquement ouvert au nom de celui qui travaille.
Surprenant ? Et bien non : souviens-toi que sur le visa, il est bien mentionné que tu es "dépendante”.
Tu ne peux donc pas ouvrir un compte à ton nom, vu que tu ne travailles pas et que tu n’as pas de salaire.
Et puis c’est plutôt logique, un compte en banque mais pour quoi faire ?

Et il n’y a pas que big brother qui te regarde.
Ton mari aussi, car il a du coup tous les relevés de compte…
Il devra même parfois approuver tes transactions bancaires grâce à la double authentification car le compte est lié à son téléphone…

Alors au lieu de devoir toujours débattre sur les dépenses, on les réduit, c’est plus facile ; on évite le conflit, on remet ses aspirations, ses envies dans sa poche, pour plus tard peut-être…

 

Dépendance financière ou violence économique ?

Intéressant comme ce déséquilibre économique installe une nouvelle notion de dominant et de dominé dans le couple, non?

Ne serait-on pas proche de la violence économique dont les différentes formes peuvent être:
●    Dépendance financière
●    Accès réduit à l’argent
●    Surveillance des activités économiques
●    …
Cela se discute mais on peut dangereusement s’en rapprocher.

 

Dans tous les cas, sans trop le savoir et certainement sans le vouloir, on peut basculer dans une situation précaire, qui peut être passagère mais qui peut aussi se prolonger.

Ajoutons à cette dépendance financière,
●    une crise identitaire provoquée par le fait de ne plus trop savoir à quoi on sert vu qu’on n'a plus de travail
●    une perte de confiance en soi par un quotidien peu valorisant
●    un isolement de ses proches
●    un état d'esprit global qui fait émerger de petites questions existentielles
●    …
et il ne manque pas grand chose pour perdre les pédales.

 

Il faut donc une sacrée dose d’optimisme ou de naïveté (au choix, barrer la mention inutile) pour se dire que tout va bien se passer (parce qu’on l’aime et parce qu’il nous aime) et pour ne pas craindre pour son avenir même lorsque des disputes animées éclatent avec l'être aimé dont on est maintenant presque totalement dépendant.

 

Parlons-en !

Ce n’est pas très réjouissant tout cela mais n’est-ce pas mieux de connaître aussi cette réalité de l’expatriation avant de s’engager ?
En être conscient est important.
Savoir que cela arrive à bon nombre de conjoints suiveurs permet également de délier les langues.
Et pouvoir en parler nous permet de mieux comprendre ce qui nous arrive, et l'influence du contexte sur les changements que l’on perçoit dans notre comportement et celui de notre conjoint.
Cela peut aussi nous permettre de mettre en place des garde-fous avant de partir.

Voici quelques pistes à explorer :

● redéfinir les rôles et responsabilités de chacun : il y a un vrai recadrage à faire, et la contribution monétaire de chacun ne doit pas être le pilier principal de la discussion,

● s’assurer que chacun va pouvoir s'épanouir lors de l’expatriation que ce soit en travaillant ou en définissant un autre projet,

● valoriser la contribution de chacun au bien-être et à l'équilibre de la famille,

● discuter la répartition de l’argent du couple pour que cela soit équitable, sans être basé sur les fiches de salaire. Au besoin, discuter d’un budget discrétionnaire pour celui qui ne travaille pas.

Lors de l’expatriation, discuter de tout cela au sein du couple est très important afin d'évaluer où l’on se situe et réajuster l'équilibre si nécessaire.

 

Et si ce n’est pas possible d’en discuter au sein de la cellule familiale, alors il est crucial de pouvoir en parler en dehors ou de demander du support pour maintenir le cap, garder sa santé mentale et réaliser que l’on n’est jamais coincé, qu’il y a des options et qu’on a toujours le choix.

 

 

Écrit pour Expat Pro par Virginie Jullien

Ancienne consultante pour une Big 4, Virginie a profité de son expatriation pour réaliser son projet de cœur et créer son activité de coaching.

Elle est aujourd’hui coach professionnelle accréditée par la fédération internationale de coaching (ICF) et accompagne les femmes expatriées et humanitaires dans leurs transitions de vie et de carrière.

Elle propose des formules de coaching individuel incluant des cercles de femmes vivant aux 4 coins du monde. Elle travaille en ligne en français et en anglais.

Son site : https://www.realisecoaching.com

Session découverte offerte : https://bit.ly/3lyPYac