Le “permanent transfer”, ce faux jumeau de l’expatriation qui change les règles du jeu

#expatriation , #vie professionnelle , #expatpro

Dans un monde idéal, un transfert permanent à l’étranger se résumerait à un package bien ficelé et une date de départ.
Un billet d’avion, un nouveau bureau, et l’aventure commence.

Mais dans la réalité de la mobilité internationale, rien n’est jamais standard.

Chaque pays, chaque famille, chaque situation personnelle fait surgir des questions inattendues, des angles morts RH et des risques invisibles si l’on ne sait pas où regarder.
Et ce sont souvent ces “détails” qui changent tout : la fluidité de l’intégration, la sécurité financière, la trajectoire de carrière à long terme.

👉 Surtout, il faut rappeler une évidence : un transfert permanent signifie s’installer durablement.
L’approche de négociation n’est donc pas de compenser temporairement des différentiels de coût entre pays, comme on le ferait dans une expatriation classique.
Il s’agit au contraire de mettre le salarié et sa famille en situation de réussite pour une installation permanente et stable.

Plutôt que de vous livrer un article théorique, je vous partage ici un cas réel : un transfert permanent depuis la France vers les États-Unis.

1. Le visa : quand le L1 verrouille l’avenir

L’entreprise propose un visa L1. Pour elle, c’est pratique.
Et il faut reconnaître que, dans bien des cas, ce choix est logique :

👉 Le visa H existe, mais il est plus complexe, soumis à des quotas annuels, et généralement réservé aux recrutements internationaux directement depuis le marché US.
👉 Le visa L, lui, s’applique spécifiquement aux transferts intra-groupe. L’ancienneté du salarié dans l’entreprise joue en sa faveur et, dans certaines multinationales, des processus “blanket” permettent même d’accélérer considérablement le délai de traitement.

Bref : sur le papier, le L1 est souvent la voie la plus fluide.

Mais pour le salarié, il a une contrepartie de taille : impossibilité de changer d’employeur localement sans repasser par la France.

👉 Un verrou invisible, rarement discuté au moment de la signature, qui bloque toute flexibilité future et peut transformer une opportunité en prison dorée.

2. Le conjoint entrepreneur : un profil hors-radar

Package prévu : 5 000 $ pour l’accompagnement du conjoint.
Problème : la conjointe est entrepreneure, elle fabrique et vend des articles pour enfants via les réseaux sociaux.

👉 Aucune anticipation sur l’impact légal et fiscal de son activité aux États-Unis.
👉 Aucun accompagnement pour envisager une reconversion ou une stratégie adaptée au marché local.
👉 Et surtout, aucun soutien pour assurer la pérennité de son activité, ou transformer son profil.

Car dans la réalité, 5 000 $ couvrent à peine la surface :

  • quand il faut chambouler une carrière,
  • passer un diplôme US pour être reconnu,
  • ou être accompagné pour “convertir” ses compétences au marché américain,

… ce budget est loin d’être suffisant.

Résultat : une mesure qui paraît généreuse sur le papier, mais totalement décalée face aux vrais besoins.

3. La retraite : une mécanique trompeusement rassurante

La convention France–USA permet bien de valider des trimestres.
Mais attention : ces trimestres ne sont pas toujours “utilisables” si une autre expatriation suit dans un pays tiers.

👉 Sans couverture CFE, certains droits peuvent disparaître à moyen terme.
👉 Et surtout, ce n’est pas réversible : ce qui n’a pas été prévu au départ ne peut plus se rattraper.

En parallèle, dans un cadre de permanent transfer, le salarié a normalement accès au 401(k) américain, un plan de retraite attractif, notamment grâce au mécanisme d’abondement de l’employeur.
Un vrai levier d’épargne long terme… mais à manier avec nuance :

👉 Pour un salarié en milieu ou fin de carrière, ce dispositif ne compense pas toujours la perte de droits sur les retraites complémentaires françaises.
👉 C’est donc un point à investiguer avec attention dès la négociation, en fonction de l’âge, du parcours et de la stratégie patrimoniale du salarié.

4. Départ différé de la famille : un tunnel à double peine

Le salarié part en septembre, la famille le rejoindra plus tard.
Mais la couverture santé américaine ne protège que… les personnes déjà présentes sur le sol US.

👉 Sans intervention, la conjointe et l’enfant — qui étaient jusque-là rattachés à la mutuelle française avant le départ — se seraient retrouvés sans couverture pendant plusieurs mois.
👉 Solution trouvée in extremis : souscrire une mutuelle “au premier euro” spécifique, prise en charge à 100 % par l’employeur.

5. Ancienneté, congés, rémunération : le trio explosif

Avec le passage sur contrat US :

  • L’ancienneté peut disparaître (sauf mention explicite).
  • Les congés fondent drastiquement (parfois 10 jours/an).
  • Le cycle d’augmentation peut être décalé d’un an complet.

👉 Des points rarement détaillés dans le package… mais qui transforment durablement la trajectoire professionnelle et financière.

6. Et le retour, on en parle ?

La plupart des entreprises considèrent qu’un permanent transfer est… permanent. Elles n’abordent donc pas la question du retour.
Mais dans la vraie vie, les cartes sont moins stables.

👉 Un visa, même renouvelable, n’est jamais garanti à vie. Les renouvellements successifs dépendent à la fois du dossier, du contexte politique et de la tolérance de l’administration US.
👉 Quant à la permanent residency (green card), elle est longue à obtenir, soumise à des quotas, et incertaine, surtout dans un climat politique sensible à l’immigration.

👉 Résultat : même si tout semble balisé sur le papier, il suffit d’un problème d’immigration (refus, changement de règle, ralentissement administratif) pour que la famille doive rentrer, parfois en urgence.

Et dans ce cas :

  • Sans CFE, trois mois de carence à la Sécu au retour.
  • Sans logement conservé, des délais supplémentaires pour se reloger.
  • Sans anticipation, une réintégration professionnelle et personnelle chaotique.

Bref : même dans un « permanent transfer », il faut prévoir le scénario d’un retour forcé.

Conclusion

Un transfert permanent à l’international n’est jamais une simple formalité RH.
C’est un saut professionnel, personnel, familial.

Et contrairement à une expatriation temporaire, il ne s’agit pas de « compenser » un différentiel de coût entre deux pays.
Il s’agit de créer les conditions d’une installation durable, en sécurisant la trajectoire du salarié et de sa famille, et en anticipant les zones de fragilité (immigration, protection sociale, logement, droits futurs).

Dans ce cas concret, l’audit réalisé a permis :

  • d’identifier des risques invisibles,
  • d’ouvrir des marges de négociation,
  • et surtout, de garantir une expatriation alignée avec les objectifs réels du salarié… et de sa famille.



Article écrit pour Expat Pro par Marie Truchassou, experte RH en mobilité internationale.
Depuis 15 ans, Marie accompagne entreprises et expatrié·e·s sur des dossiers sensibles et des négociations complexes, en missionnant aussi bien côté corporate que terrain.

📍 Sur Instagram : @withmyexpatcompass, Marie anime La Boussole à Questions, un format où elle répond chaque mois aux vraies interrogations des expats... sans tabou ni jargon.