Vous avez suivi votre conjoint·e à l’autre bout du monde. Vous avez mis votre carrière entre parenthèses (par choix ou par obligation). Vous avez rebondi, appris, créé, parfois même complètement bifurqué.
Et puis un jour, vous ouvrez votre CV, et vous vous dites :
“Comment je vais faire tenir tout ça sur deux pages… et que ça fasse sens ?” Spoiler : ce n’est pas vous le problème. C’est le format.
Pourquoi ça coince côté RH
En France, mais pas seulement, les recruteurs ont encore une lecture très linéaire et normée des parcours. On aime quand tout s’enchaîne logiquement, sans accroc. Et surtout, quand un “trou” dans le CV est justifié, sinon… ça passe ou ça casse.
Le schéma attendu ?
Diplôme → Stage → CDI → Mobilité interne → Promotion → etc.
Mais votre réalité, à vous, est tout autre.
Votre parcours raconte de l’adaptation, des déménagements intercontinentaux, des défis logistiques, parfois une pause (pour s’intégrer, accompagner les enfants, digérer le changement de vie), ou encore des projets professionnels initiés depuis un autre fuseau horaire.
Vous avez peut-être appris une langue en quelques mois, monté une activité sans statut officiel faute de visa, ou tout simplement mis votre énergie ailleurs que dans un poste salarié classique.
Et tout ça n’apparaît pas dans un CV traditionnel.
Ce n’est pas une faiblesse. C’est juste une autre grille de lecture.
Ce que ne voit pas un RH : ce que vous avez réellement vécu
• Six mois “d’inactivité” : en réalité, six mois de gestion d’une relocalisation avec trois enfants, une recherche de logement et un déménagement transcontinental.
• Une reconversion en ligne à cheval sur deux pays : mais sans certification locale, donc invisible.
• Une activité bénévole intense dans une ONG locale : jugée “hors cadre pro”.
Pourtant, ce sont ces expériences-là qui racontent votre capacité d’adaptation, votre intelligence interculturelle, votre sens de l’organisation, votre force de projection.
Exemple : Lola, Kazakhstan et russe en accéléré
Lola a suivi son conjoint au Kazakhstan, un pays où elle ne connaissait personne et ne parlait pas un mot de russe.
Plutôt que de vivre cette barrière linguistique comme un frein, elle s’est inscrite à un programme intensif et, en six mois, elle a atteint un niveau suffisant pour converser avec ses voisins, gérer les démarches administratives et participer à des événements locaux.
Cet apprentissage lui a ouvert les portes d’un réseau professionnel insoupçonné : invitations à des forums économiques, contacts avec des entrepreneurs locaux, collaborations sur des projets associatifs.
Sur son CV initial, cette expérience n’apparaissait pas. Pourtant, c’était un atout stratégique : elle démontrait sa capacité à apprendre vite, à s’intégrer dans un environnement totalement nouveau et à créer des liens utiles pour elle… et pour un futur employeur.
Ce type d’élément — qu’il soit linguistique, culturel ou relationnel — contribue à se démarquer et doit absolument figurer dans le CV ou dans le pitch de présentation, car il appuie à la fois des soft skills rares et un capital réseau difficile à acquérir autrement.
Le vrai sujet : changer de regard
Le problème n’est pas de “cacher” ce qui semble incohérent.
C’est de reformuler avec honnêteté et finesse, en traduisant votre parcours dans une langue que les recruteurs comprennent.
Un CV, d’un coup d’œil, doit permettre à un recruteur de comprendre ce que vous recherchez. Et c’est souvent là que le bât blesse : on empile les expériences, mais le message global reste flou.
Il ne s’agit pas de rentrer dans leurs cases.
Il s’agit de redessiner la vôtre.
L’expatriation change tout… même la manière de parler de soi
C’est souvent à votre retour, ou au moment de chercher un nouveau poste à l’étranger, que cette difficulté surgit.
Ce flou, ce sentiment de ne pas “rentrer dans le moule”, d’avoir “trop changé” ou “trop dévié”... Et si, justement, cette complexité était votre richesse ?
Stand out from the crowd : pourquoi vos engagements personnels comptent
Se démarquer ne passe pas uniquement par votre expérience professionnelle. Des activités personnelles ou des engagements originaux peuvent marquer les esprits : organisation d’événements culturels locaux, implication dans des projets associatifs, challenge sportif relevé à l’étranger…
Ces éléments sont bien plus qu’anecdotiques : ils appuient des dynamiques de soft skills (leadership, résilience, organisation) et enrichissent votre réseau.
Or, le réseau est un levier incontournable : beaucoup de postes ne sont jamais publiés, et ce sont les connexions personnelles et professionnelles qui ouvrent les bonnes portes.
Un CV, c’est stratégique
L’idéal est de créer une trame globale qui reflète votre profil et vos objectifs… mais de l’ajuster à chaque candidature et à chaque entreprise.
On ne postule pas de la même manière pour un poste dans une ONG internationale, une PME locale ou une multinationale.
Cet ajustement ne se limite pas à changer l’ordre des rubriques : il s’agit de mettre en avant, pour chaque cible, les expériences et compétences qui font sens pour elle.
Cas d’accompagnement : trois parcours, trois repositionnements
• Nadia, Afrique du Sud → France
Ancienne chef de projet, elle avait quitté le salariat pour suivre son conjoint à Johannesburg.
Pendant cinq ans, elle avait développé une micro-entreprise d’artisanat local. Sur son CV, cela paraissait comme une “activité parallèle”. Après réécriture, elle a valorisé ses compétences en gestion de production, logistique internationale et marketing digital. Résultat : un poste de responsable achats dans une entreprise d’import-export… grâce à des compétences acquises hors cadre classique.
• David, Canada → Asie
Cadre en informatique, il avait multiplié les missions freelance faute de visa de travail stable. Sur le papier, cela donnait une impression d’instabilité. Après réécriture, il a construit un CV orienté “chef de projet IT” avec un fil rouge autour de la gestion multi-fuseaux et des environnements multiculturels. Il a décroché un poste dans une start-up internationale en moins de trois mois.
• Lola, Kazakhstan → Europe
Le repositionnement de Lola est un cas parfait : l’apprentissage du russe et la constitution d’un réseau local sont devenus des arguments différenciants. Sur son nouveau CV, cette compétence linguistique et son implication dans des projets locaux sont mises au même niveau qu’une expérience professionnelle classique, avec un focus sur les bénéfices pour un employeur européen travaillant avec l’Asie centrale.
En conclusion
Un bon CV ne raconte pas une carrière parfaite. Il raconte un cap, une trajectoire assumée, et des compétences prêtes à s’exprimer dans un nouvel environnement.
L’objectif n’est pas seulement de “remplir” un document, mais de raconter une histoire cohérente, qui donne envie à un recruteur d’en savoir plus.
Et parfois, il faut accepter que le CV seul ne suffise pas : le pitch oral, la présence sur LinkedIn, le réseau… tout doit être aligné pour maximiser vos chances.
✍ Article écrit pour Expat Pro par Marie Truchassou, experte RH en mobilité internationale.
Depuis 15 ans, Marie accompagne entreprises et expatrié·e·s sur des dossiers sensibles et des négociations complexes, en missionnant aussi bien côté corporate que terrain.
📍 Sur Instagram : @withmyexpatcompass, Marie anime La Boussole à Questions, un format où elle répond chaque mois aux vraies interrogations des expats... sans tabou ni jargon.